Financer l’avenir en période d’austérité : points forts du webinaire du PMNCH

La santé mondiale est confrontée à une crise de financement. Les principaux donateurs ont annoncé une forte réduction de l’aide publique au développement (APD) pour la période 2025-2027 ; si cette tendance se poursuit, l’APD consacrée à la santé en 2027 pourrait être inférieure à celle de 2020. Parallèlement, les dépenses nationales de santé stagnent ou diminuent dans de nombreux pays à revenu faible et intermédiaire, et les paiements directs (OOP) restent la principale source de financement de la santé dans 30 pays, poussant les familles dans la pauvreté. Ces réalités ont servi de cadre au webinaire organisé en septembre 2025 par le PMNCH sur la manière de préserver et de maintenir les investissements dans la santé des femmes, des enfants et des adolescents (WCAH).

Regardez l’enregistrement ici :

Les chercheurs et partenaires de Countdown to 2030 ont joué un rôle prépondérant dans la discussion, notamment le Dr Mary Kinney (Université du Cap-Occidental), qui a présenté les conclusions de la série spéciale Global Health Action (GHA), intitulée Global Financing Facility for Women, Children, And Adolescents: Examining national priorities, processes, and investments (Mécanisme de financement mondial pour les femmes, les enfants et les adolescents : examen des priorités, des processus et des investissements nationaux), une collection d’articles co-dirigée avec le centre de données et d’analyse Health Policy & Systems de Countdown.

Un appel à redéfinir les priorités

En ouvrant l’événement, Rajat Khosla, directeur exécutif du PMNCH, a souligné les enjeux humains : selon des modèles récents, le monde pourrait connaître 14 millions de décès évitables supplémentaires d’ici 2030, dont 4,5 millions d’enfants de moins de cinq ans, si les coupes budgétaires brutales actuelles ne sont pas inversées. Il a également souligné une deuxième tendance, à savoir la baisse des dépenses nationales et l’augmentation des dépenses à la charge des patients, avertissant qu’ « une seule urgence médicale peut plonger toute une famille dans la misère ».

Le Dr Khosla a exhorté les responsables budgétaires à placer la santé maternelle, néonatale et infantile au centre des préoccupations, citant la Commission Lancet sur l’investissement dans la santé (CIH 3.0) comme une nouvelle preuve que le fait de donner la priorité à la santé maternelle, néonatale et infantile dans les plans nationaux permet de réduire considérablement la mortalité et d’obtenir des gains économiques importants.

Ce que font les pays : l’expérience de l’Éthiopie

Le Dr Solomon Worku, conseiller principal auprès du ministère éthiopien de la Santé, a décrit comment l’Éthiopie a positionné la santé reproductive, maternelle, néonatale, infantile et adolescente (RMNCAH) comme un service de santé essentiel, adopté une stratégie de financement des soins de santé et introduit des plans de mise en œuvre chiffrés, notamment un pacte de planification familiale qui associe les fonds des donateurs aux allocations gouvernementales. L’Éthiopie a également mis à l’essai un modèle d’entreprise sociale visant à générer des revenus du secteur privé qui sont réinvestis dans la WCAH, en accordant la priorité aux populations marginalisées. L’objectif : amener les bailleurs de fonds à passer de stratégies visant à « combler les lacunes programmatiques » à des stratégies visant à éliminer les lacunes, tout en renforçant le dialogue interministériel avec le ministère des Finances et le Parlement. Le Dr Worku a également insisté sur l’efficacité et la nécessité de « parler le langage de l’économie et de la santé » dans les négociations sur les budgets publics, une approche qui a permis de créer un espace pour la RMNCAH même dans un contexte de réduction de l’aide publique au développement (APD).

Ce que cela signifie pour les budgets de santé

Du point de vue du financement mondial, le Dr Agnès Soucat, de l’Agence Française de Développement, a fait valoir que « l’aide au développement telle que nous la connaissons appartient désormais au passé ». L’accent doit désormais être mis sur la mobilisation de l’action collective et du financement, aux niveaux local, national, régional et mondial, afin de renforcer les systèmes nationaux et d’éviter que l’aide ne se substitue aux budgets nationaux. Elle a également appelé à investir dans les « canaux » de distribution : ressources humaines, institutions et systèmes de protection sociale, ainsi qu’à instaurer des taxes sur la santé qui améliorent la santé et génèrent des revenus équitables.

Le Dr Kalipso Chalkidou, de l’Organisation mondiale de la santé, a exposé la situation macroéconomique difficile : les emprunts liés à la pandémie, la hausse des taux d’intérêt et l’augmentation des coûts du service de la dette réduisent les dépenses nationales de santé, des milliards de personnes vivant dans des pays qui paient désormais plus en intérêts qu’en santé ou en éducation. Il en résulte une dépendance excessive à l’égard des dépenses à la charge des patients et d’une aide volatile pour les soins primaires et les soins de santé de base dans de nombreux pays à faible revenu. Elle a exhorté les gouvernements à renforcer leurs capacités budgétaires, à améliorer la définition des priorités et la gestion des finances publiques, et à veiller à ce que l’aide soutienne les fonctions essentielles de l’État sans les remplacer.

Des données pour orienter les investissements : la collection GHA-GFF et CIH 3.0

Lors de la présentation de la série spéciale de la GHA consacrée au GFF, le Dr Mary Kinney a expliqué que cet examen externe du Mécanisme de financement mondial (GFF) avait porté sur les documents nationaux du GFF de 28 pays (24 dossiers d’investissement et 30 documents d’évaluation de projets de la Banque mondiale). Ce travail a donné lieu à neuf articles universitaires, dont quatre études de cas approfondies par pays (Burkina Faso, Mozambique, Tanzanie, Ouganda), ainsi qu’un éditorial et trois commentaires. Le Dr Kinney a souligné plusieurs conclusions importantes :

  • Visibilité et alignement : le GFF a renforcé la place de la WCAH dans les plans nationaux, en consolidant les politiques fragmentées en matière de RMNCAN+N en un seul dossier d’investissement dans plusieurs contextes.
  • Ampleur du financement : l’analyse des documents de projet de la Banque mondiale a montré que 14,5 milliards de dollars américains ont été mobilisés dans le cadre de projets de la Banque mondiale liés au GFF entre 2015 et 2022 ; la part des subventions du GFF n’était que d’environ 4 %, ce qui a permis de catalyser les prêts gouvernementaux et concessionnels. De nombreux acteurs ne savaient pas clairement que les subventions du GFF étaient liées à des prêts.
  • Appropriation et politique : l’appropriation par les pays était inégale ; alors que les projets d’investissement étaient souvent vastes et inclusifs, les projets liés à la Banque mondiale traitaient moins de priorités et étaient principalement élaborés par la Banque, les gouvernements et les équipes du GFF. La société civile, les jeunes et les acteurs du secteur privé étaient parfois mis à l’écart, même si les données provenant de Tanzanie montrent que l’engagement s’est amélioré au fil du temps.
  • Adaptation et apprentissage : bien que les premiers projets du GFF ne comportaient pas de mesures d’impact, de qualité et d’équité, le GFF a investi dans des plateformes de données et des systèmes de suivi plus solides et s’est montré disposé à s’adapter en fonction des données et des retours d’expérience.

Elle a conclu qu’au vu du contexte financier actuel, l’avenir du GFF est plus crucial que jamais, déclarant : « Le moment est venu d’accélérer les efforts visant à renforcer la capacité des pays à jouer un rôle moteur grâce à des plateformes inclusives, à remédier aux déséquilibres de pouvoir, à garantir un financement équitable à long terme et à assurer une responsabilité indépendante. »

Le professeur Gavin Yamey, de l’université Duke, a présenté les conclusions du CIH 3.0, qui trace une voie pragmatique vers l’objectif « 50 by 50 », visant à réduire de moitié la probabilité de décès prématuré d’ici 2050, grâce à des investissements ciblés dans 15 pathologies prioritaires, dont huit relèvent de la santé maternelle, néonatale et infantile (notamment les pathologies maternelles, les troubles néonatals et les maladies infectieuses courantes). Dans de nombreux pays à revenu faible ou intermédiaire (PRFI), la mortalité prématurée touche principalement les enfants de moins de cinq ans, ce qui rend les investissements dans la santé infantile et maternelle essentiels pour progresser. À l’avenir, la Commission examinera les mesures à prendre pour atteindre l’objectif « 50 by 50 » spécifiquement pour la mortalité des moins de cinq ans, et explore des mécanismes de subvention innovants afin de rendre les produits de première nécessité plus abordables.

La pratique et la voie à suivre

Lors du dernier panel, Luc Laviolette, chef du Secrétariat du GFF, a souligné que le GFF était un partenariat dirigé par les pays et un mécanisme de financement catalytique. À ce jour, le GFF a mobilisé environ 2,6 milliards de dollars américains sous forme de subventions provenant de 17 donateurs, utilisant ces subventions pour inciter les ministres des Finances à allouer les fonds de l’IDA de la Banque mondiale et le budget national aux priorités de la WCAH. Un cadre de financement conjoint permet désormais à d’autres donateurs de cofinancer les projets de la Banque mondiale, ce qui améliore l’alignement et réduit la fragmentation. Il a reconnu que le leadership des pays est variable, ce qui influe sur le caractère inclusif et la visibilité des processus du GFF, mais a souligné que la stratégie 2026-2030 du GFF affinera encore cette approche, en mettant davantage l’accent sur la mobilisation des ressources nationales, le renforcement des systèmes de données et les investissements axés sur l’équité, afin de garantir que le financement externe renforce les priorités nationales plutôt que de les contourner.

Cette idée a été reprise par le Dr Joël Kiendrébéogo, du ministère de la Santé du Burkina Faso, qui a souligné que le financement durable dépendait de l’appropriation nationale et de l’alignement sur les stratégies nationales. Au Burkina Faso, cela s’est traduit par la priorité accordée aux interventions en faveur de l’eau, de l’assainissement et de l’hygiène dans le plan national de développement sanitaire, grâce à l’utilisation d’outils tels que des plans d’action numérisés et une cartographie dynamique des ressources afin d’améliorer l’efficacité et la responsabilité. Il a fait valoir que l’aide extérieure doit renforcer, et non remplacer, ces cadres nationaux de dépenses, et que pour avoir un impact à long terme, les gouvernements doivent gérer efficacement les ressources tout en veillant à ce que les partenaires extérieurs restent responsables vis-à-vis des priorités nationales.

Pour la communauté de chercheurs, de défenseurs et de décideurs politiques de Countdown, trois conclusions immédiates se dégagent :

  1. Utilisez des données probantes pour défendre les budgets dès maintenant. Le PMNCH, la série GFF/GHA et le CIH 3.0 fournissent ensemble des arguments convaincants et quantifiés démontrant que la WCAH est à la fois vitale et très rentable. C’est le langage que les ministères des Finances et les parlements ont besoin d’entendre.
  2. Encouragez l’harmonisation et la transparence. Les arguments en faveur de l’investissement doivent se traduire par des priorités financées, avec une cartographie des ressources publiques indiquant qui finance quels engagements et si l’équité, la qualité et l’impact sont mesurés.
  3. Promouvez des systèmes durables. Les pays et les partenaires doivent protéger les soins primaires et les professionnels de santé, mettre en place des taxes sur la santé lorsque cela est judicieux et veiller à ce que l’aide renforce les systèmes nationaux plutôt que de les remplacer.

À l’approche de la prochaine Assemblée générale des Nations Unies (AGNU 80), le message de ce webinaire est clair : il ne s’agit pas seulement d’ « augmenter les fonds consacrés à la santé », mais aussi d’améliorer et d’optimiser le financement de la WCAH, en s’appuyant sur le leadership des pays, en s’alignant sur un plan unique, en mesurant l’équité et l’impact, et en se protégeant des chocs qui ont fait dérailler les progrès. Le coût de l’inaction se mesure en vies humaines ; les solutions sont déjà sur la table.